Des femmes à la pointe de la transformation

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Publié le :

2 novembre 2016

Contexte
Selon les statistiques de la FAO (2011), les femmes sont à l’origine de 60 à 80% de la production vivrière dans les pays en développement. Pourtant, elles restent marginalisées dans la gestion du domaine familial et des revenus de l’agriculture. En Afrique, les cultures de rente, les plus lucratives, sont généralement aux mains des hommes, tandis que les femmes se concentrent sur les cultures vivrières, destinées en priorité à l’alimentation familiale. Les quelques revenus qu’elles peuvent tirer du maraîchage ou du petit commerce servent à couvrir les dépenses de santé ou les frais de nutrition et de scolarité des enfants et n’y suffisent souvent pas.
Pourtant, les cultures vivrières traditionnelles telles que le mil en Afrique de l’Ouest ou le manioc en Afrique centrale peuvent être valorisées sous forme de produits transformés qui permettent à la fois de dégager des revenus et d’offrir aux habitants des villes des denrées produites localement. Illustrations au Cameroun et en République démocratique du Congo (RDC).
Expériences de terrain
Les groupements de femmes sont devenus un dispositif classique de la coopération au développement. Ces initiatives peuvent s’avérer fructueuses si elles s’appuient sur des dynamiques locales préexistantes. Il existe en effet, sur le terrain, de nombreux modes d’organisation et mécanismes de solidarité informels autogérés par des femmes.
La mutualisation des forces de travail et des ressources est un aspect central. Les paysannes s’entraident selon un système de tours de travail pour les principales besognes champêtres (semailles, repiquage, récolte, etc.). A côté de leurs parcelles individuelles, elles cultivent souvent un champ collectif dont le produit sert à couvrir des dépenses communes. Un système de tontines collecte l’épargne des membres afin de financer des dépenses familiales urgentes (santé, éducation, etc.) et des investissements productifs.
Au centre du Cameroun, une centaine de paysannes étaient regroupées en association informelle pour cultiver le manioc, associé à d’autres plantes vivrières. Leur structuration en groupes d’initiatives communes (GIC), puis en coopérative, s’est déroulée sur une quinzaine d’années. Elles n’ont jamais eu de soutien financier extérieur mais bénéficient, au travers de la CNOP-cam (Concertation nationale des organisations paysannes du Cameroun), d’appuis techniques et de formations.
Constatant qu’elles étaient perdantes en vendant le manioc frais, ces femmes ont décidé de se lancer dans la transformation. Le système de tontines leur a permis d’acquérir des moulins pour la fabrication de farine, de semoule (atiéké, gari) et de tapioca. La Société coopérative de manioc, autres tubercules et produits agricoles (SOCOOPMATPA) compte actuellement 417 membres, parmi lesquels 138 hommes et 35 jeunes, signe que son rôle moteur est largement reconnu. Elle est dotée de groupes spécialisés dans la production de semences certifiées, dans la transformation et dans la commercialisation.

Toujours au Cameroun, des habitantes de la ville de Douala s’étaient organisées pour cultiver des terres dans la périphérie afin de subvenir au besoin de leurs familles. Aux côtés de quelques jeunes hommes, ces femmes pratiquaient une agriculture diversifiée, du petit élevage et, pour certaines, des activités de transformation. Elles étaient cependant confrontées à l’épuisement des sols dû à l’usage d’engrais et de pesticides chimiques et à des difficultés de commercialisation. Dès 2006, Caritas Douala, oeuvre sociale de l’Eglise catholique, est intervenue pour les appuyer. Mais avant de parler méthodes de culture, transformation et vente, Caritas a travaillé sur la cohésion du groupe et le partage du pouvoir. Des conflits larvés poussaient en effet certaines femmes à délaisser le champ communautaire.

Les activités d’animation et de formation jouent donc un rôle important. A Douala, l’intégration, dans une démarche globale, d’activités sociales, de formation technique et de renforcement des capacités de leadership a permis de souder le groupe. « Parallèlement, j’organisais des causeries sur la santé et sur la situation familiale, ainsi que des formations à la rédaction de rapports, à la comptabilité et à l’engagement politique au niveau communal », souligne Elisabeth Mekougou Obama, ancienne chargée de programme à Caritas Douala. C’est seulement après cette phase de consolidation que les groupes ont été structurés en une trentaine de groupements, réunis dans une association informelle, le Réseau des femmes pour l’action et le développement. La mixité dans les groupements était encouragée.
Les membres ont appris des techniques agroécologiques, par exemple l’association du manioc avec des légumineuses pour restaurer la fertilité des sols. Des démonstrations de techniques de transformation ont été réalisées sur place.
En RDC, un groupe d’une centaine de productrices a appris, lors d’un voyage d’échange dans un autre groupement, une technique artisanale permettant de conserver le manioc près d’un mois au lieu de quelques jours. « Les femmes vont à la rivière pour ramollir le manioc, et les enfants préparent les cordons et les feuilles pour emballer le manioc », relate Ernestine Lonpi Tipi, une chercheuse camerounaise.

La recherche de circuits d’écoulement est un préalable à l’augmentation de la production, car sans cela les acheteurs ne sont pas au rendez-vous ou les prix pas à la hauteur. Cette phase est souvent complexe, car elle implique divers acteurs et paramètres (transport, recherche d’acheteurs fiables, gestion des quantités, etc). En RDC, le WWF a appuyé le groupement de productrices de manioc dans sa structuration et dans la commercialisation. Chaque samedi, les femmes traversent la rivière pour livrer 30 000 bâtons de manioc sur un marché hebdomadaire, de l’autre côté de la frontière. Pour le transport, elles se sont coordonnées avec des habitants du village disposant de véhicules.
A la SOCOOPMATPA, un groupe de femmes chargé de la commercialisation s’occupe de négocier les quantités et les prix auprès d’internats, de restaurants ou de détaillants. La coopérative travaille en partenariat avec les taxis-brousse pour acheminer la marchandise. Vu sa taille, elle a maintenant accès au crédit via un établissement de microfinance. Ses membres peuvent ainsi emprunter de l’argent à un taux d’intérêt raisonnable (2% sur six mois), mais uniquement pour investir dans la production et non pour couvrir les dépenses du ménage.
A Douala, le Réseau de femmes pour l’action et le développement a pu vendre ses produits dans des foires urbaines mises sur pied avec un appui extérieur. Caritas France, partenaire technique et financier de Caritas Douala, a mis à disposition un fond d’appui à l’entreprenariat féminin destiné à organiser les foires, des voyages d’échanges et des journées portes ouvertes, ainsi qu’à financer des microcrédits. Ces foires n’ont pas survécu à l’arrêt du projet, mais les groupements ont trouvé de nouveaux circuits de commercialisation, notamment dans d’autres foires urbaines, dans des supermarchés ou dans des pays voisin.
Enseignements
L’organisation collective permet de mutualiser les ressources et la force de travail. Avant de les appuyer, les ONG et les bailleurs gagnent à s’appuyer d’abord sur les paysan-ne-s. Il est important de prévoir une phase préalable d’analyse des enjeux d’un projet, comprenant notamment les facteurs sociaux et de genre, et d’accorder une attention particulière à l’animation, à la discussion et à la formation, y compris dans le domaine politique. Cela favorise l’émergence de femmes leaders qui peuvent devenir des « modèles » et frayer un chemin à d’autres.

De par leurs savoirs traditionnels en matière d’agriculture vivrière et de transformation, les femmes ont un rôle de premier plan à jouer dans le développement d’une économie agricole orientée vers la souveraineté alimentaire. Pour cela, il est important de soutenir les initiatives permettant de mobiliser leurs savoirs et de les enrichir par des voyages d’échanges, des formations « en plein champ » et des appuis à l’organisation et à la commercialisation.

Le renforcement des capacités économiques et techniques des femmes leur permet bien souvent d’obtenir une meilleure reconnaissance sociale et une position plus solide au sein de la famille. Selon Ernestine Lonpi Tipi, le succès des activités des productrices de manioc en RDC a convaincu les hommes du village de leur octroyer davantage de terres.

En s’organisant collectivement, les femmes parviennent à gagner en autonomie et à améliorer les conditions de vie de la famille. Il est préférable d’attendre que les groupements féminins aient une assise assez solide avant d’y intégrer les hommes. C’est d’ailleurs souvent lorsque ces derniers constatent l’essor de leurs activités qu’ils commencent à s’y intéresser, et c’est à ce moment-là qu’une nouvelle dynamique, basée sur la mixité, peut voir le jour.