La paix sociale passe par la terre

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Publié le :

2 novembre 2016

Contexte
Dans la région des grands lacs, l’habitat dispersé sur collines favorise le morcellement des terres et engendre des difficultés d’encadrement du système foncier. Les tribunaux regorgent de cas litigieux et la justice sociale traditionnelle est mise à contribution pour faire avancer les procès sans toutefois lui accorder un statut particulier. Au Burundi, la gestion foncière s’avère particulièrement complexe en raison de l’articulation de nombreux facteurs, dont le premier par ordre d’importance est probablement la forte pression démographique existante. L’augmentation de la population se traduit en effet par une réduction des surfaces cultivables disponible par personne et ceci dans un pays où la valeur productive de la terre est vitale pour la survie d’environ 85% de la population. Un deuxième facteur important est constitué par une individualisation du rapport à la terre, qui non seulement augmente le nombre de détenteurs de droits fonciers, mais se traduit également par une réduction du contrôle communautaire sur la distribution et l’usage de la terre. Les pratiques d’expropriation des agriculteurs de la part de l’État et son imposition de la culture du café, dont les plantations « coupaient » les exploitations situées sur le même niveau d’une colline, ont ajouté une couche de complexité. Les conflits politiques, la question du retour des réfugiés internes et les phénomènes d’exclusion dans l’accès à la terre de groupes sociaux entiers (tels les femmes ou les Batwa) représentent les derniers éléments de ce casse-tête de difficile solution.
Expérience de terrain
En 2009, ACORD Burundi (Association de Coopération et de Recherche pour le Développement),  a pris le lead des questions foncières dans la région des Grands Lacs. Son programme de consolidation de la paix sociale se structure sur deux composantes : une première de « transformation des conflits » et une deuxième d’appui aux initiatives locales de rapprochement des communautés divisées par les conflits. Dans ce cadre, ACORD Burundi a développé une méthodologie spécifique basée sur le contrat social, dont l’objectif est la réconciliation des populations en conflits et l’identification des solutions les plus durables possibles.
L’établissement du contrat social est l’aboutissement d’un processus de négociation articulé sur le dialogue communautaire autour des conflits en général et de la gestion foncière en particulier et sur l’engagement pour désormais vivre ensemble. Pour l’élaboration de ce contrat, ACORD-Burundi a choisi de travailler avec des associations à assise communautaire, dont les membres vivent ou sont originaires des communes d’intervention. Leur familiarité avec le milieu et la population représente la garantie d’une bonne reconstitution des différents éléments du conflit. De plus, les associations sont également sélectionnées en fonction de la place accordée à la réconciliation et la paix dans leur philosophie ; leurs expériences et compétences en matière de gestion des conflits et de leur image et reconnaissance auprès de la population.
Une fois identifiées, les associations appuyées par ACORD-Burundi démarrent un processus préliminaire qui vise une préparation psychologique des participants au dialogue à travers des débats sur les enjeux du « vivre ensemble pacifiquement ». A travers de formations sur l’analyse des conflits, la communication et l’écoute active, il est finalement possible d’aboutir sur l’élaboration d’un contrat social. Celui-ci comprend les engagements de chaque partie à vivre ensemble de manière pacifique. Si les solutions trouvées s’avèrent être consensuelles, leur mise en œuvre reste parfois difficile et peut nécessiter d’un appui extérieur. D’autres solutions, non consensuelles, doivent être renvoyées à la « table des négociations » où le cas litigieux doit faire l’objet de recherches complémentaires.
Parallèlement, et même un peu avant, l’établissement du contrat social, un comité de paix est implanté au niveau de chaque colline, qui historiquement constitue l’entité de base. Le choix des membres est fait par mode électif, mais en veillant à garantir la représentativité (hommes, femmes, jeunes, ethnies variées, déplacés, rapatriés, groupe des Batwa, etc.). Ces comités de paix travaillent en collaboration avec les autres acteurs de la commune, comme par exemple les agents des services techniques agricoles de l’État et peuvent être sollicités en tant qu’experts sur la question des conflits fonciers. Par ailleurs, les membres des comités de paix sont à l’écoute de la population et prêtent attention aux « rumeurs» et événements sources de conflits, qu’ils compilent dans des « registres de suivi des conflits».
Enseignements
Ces expériences menées par ACORD-Burundi sont particulièrement innovantes, car au-delà de la médiation et de la recherche de solutions, c’est aussi une percée dans la compréhension des causes de conflits récurrents et par conséquent dans la recherche des pistes de réconciliation entre toutes les parties. Par les processus engagés, l’organisation a fait un constat positif qui a donné des solutions notables à la question des conflits fonciers. A titre d’exemple, dans la commune de Rango, les comités de paix ont par exemple procédé à la conciliation de 80 cas de conflits liés aux anciennes caféières.
Dans son approche, ACORD Burundi se base sur les modes traditionnels de gestion des conflits qui privilégient la conciliation plutôt que le recours à la justice. De cette façon son action est plus proche des valeurs et des pratiques des communautés. Faire appel à des « médiateurs » ou « conciliateurs » qui ont une connaissance étroite du milieu dans lequel ils interviennent a également constitué une valorisation certaine de la démarche. En effet, ces personnes ont pu mettre à profit leur bonne compréhension des différentes formes de régulation des différends au bénéfice de pouvoir mettre les parties en confiance.
Les comités de paix, en gérant les divergences, peuvent faire obstacle à la récupération politique de certains conflits ou à une évolution violente de ces derniers. Au Burundi, l’intégration des autorités traditionnelles dans ces nouvelles structures s’avère très pertinente, car malgré leur désuétude elles demeurent pour les communautés la référence la plus crédible par opposition aux instances judiciaires du pays. De plus, les entretiens réalisés sur le terrain révèlent que les membres des comités de paix ont progressivement acquis la reconnaissance de la population et des autorités y compris traditionnelles.
Malheureusement, l’accompagnement technique des comités de paix reste dépendant des financements et les structures à assise communautaire ne sont ni initiatrices ni gestionnaires des projets. La durabilité de cette initiative risque d’être dépendante des moyens financiers principalement externes. A voir donc, dans le futur, si les mandataires d’ACORD dans la gestion de conflits ne soient pas perçu comme des « employés » mais bien pour les populations locales comme étant issu de leur propre communauté.