Riz local ou riz global

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2 novembre 2016

Contexte
Le changement climatique, l’épuisement des sols et le déclin des cultures de rente classiques (café, cacao, etc.) ont remis la question des semences vivrières sur le devant de la scène. En Afrique, des Etats, des agences de coopération, des organisations paysannes (OP) et des ONG s’activent pour améliorer l’accès aux semences. Mais leurs approches peuvent être très différentes, voire opposées. Alors que les semences paysannes s’inscrivent dans une logique de biodiversité et d’adaptation à un terroir, l’agriculture intensive se focalise sur une ou deux variétés globalisées.
Expériences de terrain
I. Semences paysannes en Casamance
A Saaré Bidji, une commune rurale de Casamance, les semences paysannes de riz local font leur retour dans les greniers. Dans cette région du Sénégal, la culture du riz est une tradition dont les femmes sont les gardiennes. Mais les semences « améliorées » par la recherche ont peu à peu supplanté les variétés locales.
L’Etat distribue régulièrement des semences certifiées, comme le Sahel 108 et le NERICA-6. Ces variétés offrent un bon rendement lors des premières campagnes ; certaines ont un cycle court, ce qui constitue un atout dans un contexte de diminution de la pluviométrie. Pourtant, elles ont engendré une dépendance. Les cultivatrices ont constaté que, sans ajout d’engrais chimiques, les variétés améliorées ne tenaient pas leurs promesses et qu’après quelques années, leur rendement avait tendance à diminuer.
A la suite d’une rencontre à la foire des semences ouest-africaine de Djimini, l’ONG locale Foddé s’est alliée à l’Association sénégalaise des producteurs de semences paysannes (ASPSP) pour revaloriser les semences locales. Elles ont formé et équipé 23 organisations de femmes implantées dans 22 villages. Elles ont demandé aux cultivatrices d’amener des semences et de les décrire par leur nom, leurs caractéristiques et leurs qualités gustatives.
Les femmes ont appris à construire des cases de semences avec un mélange d’argile, de paille et de sable et à utiliser la coque d’arachide ou le compost comme fertilisants. Elles ont été formées au repiquage du riz, qui permet un meilleur rendement que le semis à la volée.
« On a cultivé une variété locale dans un champ, et une variété de la recherche issue de la première récolte dans un autre, raconte Ouley Seydi, présidente de l’Union des productrices de riz de Saaré Bidji. On a vu la différence : sans engrais chimiques, le rendement était bien meilleur avec la semence locale. Je n’utilise jamais d’engrais, parce que ça tue les sols et que ça apporte des maladies. » Ouonto Baldé, trésorière de l’union, abonde : « Nous sommes revenues aux variétés locales. Avec un hectare, je peux couvrir les besoins des vingt membres de ma famille pendant un à deux ans ! »
La plupart des femmes cultivent les deux types de semences en parallèle, car on ne sait jamais… « Je préfère la variété du PADAER 1 parce qu’elle est beaucoup plus productive », lance l’une d’entre elles. La concurrence avec les semences fournies par l’Etat est rude. Les femmes qui ont adopté les nouvelles variétés se voient offrir du matériel. Pour Alihou Ndiaye, coordinateur d’ASPSP, le cadrage du projet n’a pas prévu assez de temps pour la préparation et la formation. « Le programme a été mis en place en une année : c’est beaucoup trop court ! »
Bokary Seydi, chef d’un village de la commune, estime que les semences améliorées ne doivent pas prendre toute la place. « C’est comme si quelqu’un, pour accueillir un étranger, en venait à négliger son propre enfant. Il ne faut pas se trahir soi-même ! On aime les variétés de la recherche, mais on ne connaît pas leur origine. Comme avec un arbre greffé, on ne peut pas en prendre la graine pour la resemer. Et puis on ne connaît pas demain : peut-être les gens qui nous amènent ces semences ne seront-ils plus là ! »
II. Semences améliorées en Ouganda
En 2009, l’ONG Food for the hungry (FH) a lancé une opération de soutien à la production de riz dans le Nord de l’Ouganda. Cette région souffre d’un déficit alimentaire et porte les séquelles de vingt ans de guerre, pendant lesquels près de 90% des habitants ont été déplacés dans des camps. Objectif de FH : augmenter les revenus et la sécurité alimentaire de 3000 petits producteurs.
En partenariat avec l’Institut national de recherche de Namulonge, l’ONG a promu le NERICA-4, un riz amélioré issu d’un croisement entre des variétés asiatiques et africaines. Deux cents paysan-ne-s ont été formé-e-s à la multiplication de semences certifiées. Ils les ont vendues aux producteurs de la zone, qui ont bénéficié d’une subvention à l’achat et reçu une formation aux techniques de culture et de conservation du riz.
Le projet comprend un volet de renforcement de l’accès au marché : les productrices (58% de femmes) et producteurs ont été structurés en trois associations pour organiser la collecte, le transport et la vente du riz. Ces dernières seront transformées en coopératives pour pouvoir accéder au crédit et étendre leurs marchés. Elles devront être autonomes d’ici à 2017, année où le soutien de FH prendra fin.
Depuis l’introduction du NERICA, la production a été multipliée par trois ou quatre. Par contre, le prix payé au producteur reste très bas. L’ONG espère que les unités de décorticage et de conditionnement installées avec l’aide de l’Etat permettront d’augmenter la plus-value et de concurrencer le riz importé du Japon et de Thaïlande.
Seule une petite partie du riz cultivé dans la région sert à l’alimentation des familles, le reste étant destiné à la vente. Il s’agit donc davantage d’une culture de rente que d’une culture vivrière. Le Nord de l’Ouganda n’est pas traditionnellement consommateur de riz. C’est seulement depuis la guerre, alors que l’abandon forcé des cultures a provoqué une grave crise alimentaire, que le riz est entré dans les habitudes.
Les semences du NERICA peuvent être reproduites « pendant une dizaine d’années », affirme François-Xavier Kajyabwami, de FH. « Bien sûr, il ne faut pas les semer tout le temps dans le même champs mais effectuer la rotation des cultures. » L’ONG a également sensibilisé ses agronomes aux risques des intrants chimiques. Certains producteurs n’en utilisent pas et compensent avec de la fumure organique. « Les sols sont moins dégradés qu’au Sénégal et ont un bon taux d’humus utile à la circulation de l’air, à la rétention de l’eau et des nutriments », explique François-Xavier Kajyabwami.
Selon lui, il n’aurait pas été possible de miser sur des variétés autochtones : « Il fallait intervenir rapidement pour aider les populations à trouver à manger. On voulait quelque chose qui marche à coup sûr. Or, il n’y avait pas de riz local dans la zone, hormis des variétés plus ou moins sauvages cultivées à petite échelle et pouvant difficilement fournir assez de semences. »
Enfin, explique François-Xavier Kajyabwami, « les Etats dans l’Afrique des Grands-Lacs ont décidé d’introduire partout les semences certifiées et les engrais chimiques à des degrés différents selon les pays. Tout le monde pense qu’ils sont incontournables mais nous songeons actuellement à promouvoir des variétés paysannes pour prendre le relais. »
Enseignements
Les expériences des variétés paysannes de riz en Casamance et du Nerica en Ouganda s’inscrivent dans des démarches radicalement différentes. La première vise avant tout à renforcer l’autonomie paysanne dans une culture vivrière qui constitue un des socles de l’alimentation locale. La seconde, quant à elle, est orientée prioritairement vers le développement d’une activité génératrice de revenus (culture de rente).

Depuis les années 1990, le riz NERICA a été introduit massivement en Ouganda, qui est devenu exportateur de riz. De très gros opérateurs, tels que Tilda, une filiale de l’entreprise britannique United Rice Land, dominent ce marché 2. On peut donc se demander si les petits producteurs ciblés par le projet parviendront à les concurrencer ou, plus modestement, à résister à la pression sur les prix. Pour faire le bilan d’une telle initiative, il s’agirait aussi d’en évaluer l’impact sur l’alimentation des familles paysannes et sur la fertilité des sols.

L’expérience des variétés locales de riz en Casamance montre qu’il est possible de tirer parti de ressources et de savoirs endogènes, associés à des techniques de culture agroécologiques modernes qui ne demandent pas de gros investissements. Il manque toutefois le recul nécessaire pour savoir si cette dynamique sera durable. Certaines cultivatrices continuent à préférer le riz amélioré, en fonction de stratégies personnelles qui restent difficiles à appréhender.

D’une manière générale, la confiance dans les semences paysannes est encore très relative sur le terrain, y compris dans les OP et dans des ONG comme Foddé. Seules des actions de plaidoyer, de sensibilisation et de formation de longue haleine peuvent durablement inverser la tendance.

L’agriculture paysanne et la recherche scientifique ne s’excluent pas. Il serait donc intéressant de développer des partenariats avec la recherche orientés vers l’autonomie paysanne.