Une ferme-école qui sème l’agroécologie à tout vent

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2 novembre 2016

Contexte
L’association Terres Jaunes a été créée en 2009 à Ségou, au Mali, dans le but de « contribuer au développement social, économique et culturel du Mali en soutenant des projets de développement locaux au moyen du tourisme solidaire, d’activités d’accompagnement agricole durable, d’artisanat, de culture, etc. »
En janvier 2012, Terres Jaunes a ouvert, en collaboration avec l’ONG suisse Tourism for Help, une filière de formation appliquée en hôtellerie, restauration et tourisme destinée à des jeunes défavorisés. Le Centre Doni Blon, à Ségou, fonctionne ainsi à la fois comme école et comme hôtel-restaurant visant à développer le tourisme solidaire. A l’issue de leur formation, qui dure dix mois, les jeunes sont accompagnés dans la recherche d’un emploi ou la création d’une petite entreprise.
Expérience de terrain
Le phénomène de l’exode rural touchant les jeunes Maliens, de même que la difficulté, pour le Centre Doni Blon, de s’approvisionner en denrées alimentaires de qualité à des prix raisonnables, ont amené Terres Jaunes et Tourism for Help à mettre sur pied une filière de formation et de production agroécologiques.
En 2014, la ferme-école de Benkadi Bugu, près de Ségou, a vu le jour. La formation y dure une année et se déroule « en plein champ » : la ferme-école dispose de dix hectares de terres, dont un hectare aménagé pour le maraîchage. Elle s’adresse à des jeunes de 18 ans et plus, au nombre de vingt par promotion.
Durant une première phase de deux mois, les apprenant.e.s suivent une formation à Benkadi Bugu pour renforcer leurs compétences en alphabétisation et en mathématiques appliquées et acquérir les bases de l’agroécologie. Ils continuent ensuite à se former et à expérimenter en alternance entre la ferme-école et leur exploitation, où ils reviennent régulièrement pour tester les techniques qu’ils ont apprises et les transmettre dans leur village.
La formation comprend différents modules comme le maraîchage, le petit élevage, les cultures sèches, les traitements naturels et l’agroforesterie. La conservation, la valorisation et la promotion des races endogènes de poules sont une activité à part entière à Benkadi Bugu.
L’accès à la terre est un thème sensible. Traditionnellement, les terres se transmettent par héritage de père en fils. Les femmes n’ont généralement pas de maîtrise sur les terres familiales. Il est également difficile, pour les jeunes, d’obtenir le droit d’exploiter leurs propres parcelles et de jouir de leurs fruits.
Avant le début de la formation, Terres Jaunes mène un long processus de sensibilisation et de concertation. L’association rencontre les maires des communes concernées. Les maires sensibilisent à leur tour les chefs de villages, qui font de même avec les pères de familles. Si ces derniers sont intéressés, ils s’engagent pas écrit à céder une parcelle à leur fils ou à leur fille à l’issue de la formation. Après un nouveau passage par les autorités communales, les jeunes paysan.ne.s reçoivent un titre foncier qui leur permet de cultiver la terre mais pas de la vendre.
Enseignements
— Une formation ancrée dans la communauté. Les jeunes peuvent s’approprier rapidement les techniques qu’ils apprennent en les appliquant dans leurs propres champs. Ils deviennent eux-mêmes des formateurs en diffusant leurs connaissances et leurs expériences dans leurs familles et chez leurs voisins au village, et des exemples pour les autres jeunes tentés par l’exode rural ou l’émigration.
— Le défi de l’accès à la terre pour les femmes et les jeunes. L’adhésion des villageois reste un défi majeur. Le fait que des jeunes, et en particulier des femmes, puissent détenir des titres fonciers, remet en question le fonctionnement familial traditionnel et se heurte à des réticences. Pour éviter qu’un tel projet ne contribue à fragiliser le tissu social et à favoriser l’individualisme, il est important de mettre en place des actions de sensibilisation et des espaces de débat en amont. « Il faut un consensus autour de l’accès à la terre, sinon cela crée des conflits », résume Abdramane Traoré, responsable de la formation à Benkadi Bugu.
— La difficulté de l’accès au crédit. Le financement prévu dans le projet initial couvrait la formation mais n’incluait pas le soutien à l’installation des jeunes. Or, l’agriculture, et en particulier l’agroécologie, est une activité à cycle long, qui ne produit pas forcément des gains immédiats. Terres Jaunes a fait appel à une association de promotion de l’emploi des jeunes pour financer l’aide au démarrage. Mais les fonds de cette dernière transitent par une institution de microfinance qui exige des intérêts et des garanties excessifs. Terres Jaunes a donc dû prendre à sa charge le coût du crédit. Parmi les dix-neuf personnes (dont 4 femmes) qui sont allées au bout de la formation, quinze ont pu démarrer une activité alors que quatre sont encore en attente de financement.
— La richesse des liens inter-paysans. Lors de la Foire ouest-africaine des semences à Djimini (Sénégal), Terres Jaunes a pu s’approvisionner en semences pour sa ferme-école et nouer des liens avec le Comité ouest-africain pour les semences paysannes (COASP), qui défend les droits des paysan-ne-s contre la privatisation du patrimoine génétique et les OGM. Benkadi Bugu est devenu un des pôles d’échange de semences paysannes du COASP au Mali. Dans le cadre de la foire, les représentants de Terres Jaunes ont pu visiter plusieurs initiatives d’agroécologie au Sénégal. « Chacun des endroits visités est comme une bibliothèque », commente Abdramane Traoré. « Dans le mini-car qui nous emmenait, j’ai acheté une grosse tomate dans l’idée d’en utiliser les semences pour la reproduire. Puis j’ai réalisé que c’était une erreur, car cette tomate ne répondait pas au climat et aux conditions locales. Il me faudrait des engrais et des pesticides pour la cultiver. J’ai compris alors que je devais semer moi-même ma résistance, plutôt que d’envier une tomate européenne ! »