La coopérative, passage obligé pour les paysan-ne-s ?

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Publié le :

2 novembre 2016

Contexte et définition
Depuis le début des années 2000, la forme coopérative connait un réel renouveau, mû par la volonté politique forte d’un certain nombre d’État africains. L’année 2012 a d’ailleurs été promue par l’ONU «Année internationale de la coopérative». Les organisations paysannes doivent cependant relever un grand nombre de défis, car ce modèle suscite «autant d’inquiétudes que d’espoirs », résume Léon Ndikunkiko, secrétaire général adjoint d’ADISCO (Appui au développement intégral et à la solidarité sur les collines) au Burundi.
De quoi parle-t-on ? Selon le BIT (Bureau international du travail), « le terme « coopérative » désigne une association autonome de personnes volontairement réunies pour satisfaire leurs aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels communs au moyen d’une entreprise dont la propriété est collective et où le pouvoir est exercé démocratiquement 1 ».
Durant la colonisation et la phase postcoloniale, le développement de coopératives était essentiellement axé sur la rentabilité économique et leur fonctionnement très influencé par l’État. Cette approche a longtemps favorisé la création de « coquilles vides » au profit, surtout, d’une minorité d’acteurs privilégiés proches de l’État, comme l’a illustré le scandale des GIC (groupes d’initiatives communes) fictifs au Cameroun, sans activités réelles mais utilisés par des fonctionnaires ou des personnalités pour détourner l’argent public.
En 2011, dix-sept États africains membres de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) ont adopté un cadre juridique commun. Ce texte reprend les grands principes formulés par le BIT tout en régissant précisément le fonctionnement des coopératives.
Même si un cadre légal clair facilite la création de coopératives, le chemin vers leur bon fonctionnement et leur pérennité comporte de nombreux obstacles, difficiles à franchir sans appuis externes. Illustration au travers de deux exemples au Burundi et au Rwanda.
Expériences de terrain
I. ADISCO : des groupes d’autopromotion à l’Union de coopératives
Au Burundi, l’ONG d’appui ADISCO (Appui au développement intégral et à la solidarité sur les collines) accompagne des organisations paysannes dans leur structuration en coopérative. «Il faut d’abord que la base soit solide, témoigne Léon Ndikunkiko, secrétaire général adjoint d’ADISCO au Burundi. Les dynamiques commencent entre cinq à dix personnes qui se connaissent bien, qui ont plus ou moins le même niveau de vie et qui ont déjà travaillé ensemble.».
La première étape consiste à consolider des petites organisations paysannes informelles, qui jouent un grand rôle en matière de mobilisation des ressources des ménages. L’ONG les appuie dans le développement de mécanismes de mutualisation : tontines rotatives ou accumulatives (cf. chapitre III, section 4), entraide manuelle au niveau des activités champêtres, etc.
Au cours d’ateliers organisés avec l’appui d’ADISCO, les producteurs choisissent une à trois filières agricoles qui serviront de base économique à la coopérative. Celle-ci devra compter au moins 250 paysan-ne-s. Leur structuration en filières n’oblige pas pour autant les paysan-ne-s à se concentrer uniquement sur ces dernières.
Le chemin pour parvenir à créer des coopératives solides est semé d’embuches. « Dans notre travail d’accompagnement, nous avons fait face à beaucoup de difficultés : un manque cruel de fonds de roulement pour acquérir des infrastructures, des problèmes de fonctionnement des organes dirigeants, dont les présidents se comportent parfois comme des chefs de famille. En cinq ans, seules seize coopératives agricoles fonctionnelles ont vu le jour au Burundi », constate Léon Ndikunkiko  .
Les structures qui ont réussi offrent toute une gamme de services à leurs membres comme le stockage, le warrantage, la transformation, la commercialisation, un fonds pérenne destiné à l’approvisionnement en intrants et des formations. Elles visent à améliorer les revenus des paysan-ne-s en maîtrisant peu à peu les différents maillons de la chaîne agroalimentaire.
Afin de faire face aux difficultés communes, les coopératives créées avec le soutien d’ADISCO ont décidé de se structurer en une Union Haguruka des coopératives multifilières (UHACOM). Cette Union défend les intérêts de ses membres, conduit des actions de plaidoyer pour l’adoption d’une loi sur les coopératives 2 et pour la défense de l’agriculture familiale. Elle participe activement dans les instances de prise de décision en rapport avec le mouvement coopératif et les politiques agricoles au Burundi.
II. Caritas Byumba: des coopératives liées aux paroisses
Caritas Byumba soutient activement la création de coopératives par l’intermédiaire des paroisses de son diocèse.
Les multiples associations paroissiales se sont progressivement regroupées en pré-coopératives (informelles), puis en coopératives paroissiales. «Nous avons privilégié cette approche comme porte d’entrée à l’accompagnement des ménages bénéficiaires», résume le directeur de Caritas Byumba, l’abbé Jean-Marie Vianney.
Les coopératives permettent ainsi à leurs membres d’être informés sur les politiques agricoles gouvernementales et de bénéficier de facilités du Ministère de l’agriculture pour l’accès aux intrants, la collecte, le traitement et l’écoulement de la production. « C’est grâce à l’accompagnement des paroisses dans ce processus, et à l’appui extérieur de notre partenaire Suisse SeCoDev (ex service de coopération de Caritas Genève), qui nous soutient dans la construction et la vulgarisation des terrasses radicales  , que nous avons pu développer nos 6 coopératives » témoigne l’abbé Jean-Marie Vianney. « Cette technique requiert une organisation collective du travail. Les coopératives, qui permettent de fournir la main d’œuvre pour un travail très laborieux, répondent parfaitement à cette approche », commente-t-il.

Dans ce pays où les structures familiales traditionnelles ont été disloquées par le génocide, la coopérative a permis de toucher la population sans aucune discrimination. Ceci a favorisé un climat de solidarité, d’unité et de paix favorable à la réconciliation. Les coopératives sont aussi bien considérées par les femmes, très majoritaires dans tous les organes de prise de décisions, comme lieu d’émancipation sociale par l’apprentissage de la démocratie, la formation et l’information «sur le tas».

Les coopératives officiellement reconnues sont mieux indiquées pour produire et conserver la semence de bonne qualité, qu’elles revendent à un prix rémunérateur. Chaque coopérative dispose aussi d’un compte dans les banques populaires locales et d’autres institutions de microfinance, permettant l’octroi de crédits, ce qui favorise progressivement l’autonomie financière en prévision du désengagement du partenaire suisse.

Dans la phase actuelle du projet soutenu par SeCoDév, l’accent est mis sur le respect des exigences légales et fiscales, la formation d’un leadership plus solide et la mobilisation des membres, avec l’appui d’un consultant externe. Le Diocèse de Byumba est persuadé qu’avec cet accompagnement, les coopératives seront à même de faire face aux difficultés pour assurer la pérennisation et l’autonomisation de leurs structures.
Il est important que la base paysanne soit complètement partie prenante dans ce processus, qu’elle détermine ses propres objectifs et les moyens de les atteindre. La prise de décisions démocratiques passe par l’apprentissage pratique ; la formation des paysan-ne-s et des leaders dirigeants s’avère indispensable.

En tant que lieu d’expression des besoins communautaires, une coopérative doit aussi affirmer son rôle social au bénéfice de ses membres paysan-ne-s, et si possible proposer aussi des services non rentables (p.ex. sensibilisations et formations connexes) permettant de mobiliser la base.

Un plaidoyer envers les pouvoirs politiques reste souvent indispensable afin d’influencer les politiques agricoles en faveur des intérêts des producteurs familiaux, trop souvent délaissés.

 

Enseignements
Les défis auxquels font face les coopératives se situent aux différents stades de leur processus évolutif : création, fonctionnement, rentabilité et autonomie. Le franchissement de ces étapes exige du temps, et bien souvent un appui externe. En effet, une coopérative pleinement fonctionnelle requiert des moyens parfois conséquents (infrastructures, équipements, transports, salaires, formations, etc.) ; il faut toutefois veiller à ce qu’ils n’engloutissent pas l’ensemble des bénéfices. Les coopératives doivent bien évaluer la chaîne de valeur des filières choisies, les marchés et débouchés, leurs potentialités et la rentabilité économique des services proposés. Elles sont appelées à constituer des réserves suffisantes pour assurer leur pérennité.