Au Sénégal, les oignons locaux ont la priorité

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2 novembre 2016

Contexte
L’UPHORBAK (Union des Producteurs Horticoles du Département de Bakel, Sénégal) a été créée en 1998 pour renforcer l’organisation de la filière maraîchère. Elle regroupe plus de 300 unités de production avec 6 000 membres.
L’association suisse Jardins de Cocagne a appuyé l’UPHORBAK de 2008 à 2010 pour le conseil technique et la formation, les achats groupés de semences et d’engrais, la commercialisation, l’information sur les marchés et la négociation avec les commerçants. L’Union est devenue autonome grâce aux cotisations de ses membres et à la facturation des services qu’elle leur fournit, comme le conseil et la mise à disposition d’un tracteur pour les travaux des champs et les transports.
L’oignon représente 32% de la production de légumes au Sénégal. Il est la plus importante des cultures maraîchères (90 000 tonnes en 2001, 245 000 tonnes en 2014). Le Bassin du Fleuve Sénégal et la région des Niayes, entre Dakar et Saint-Louis, sont les deux principales zones de production, avec des récoltes de mars à mai et de juillet à septembre. Toutefois, l’oignon local est concurrencé par des oignons importés des Pays-Bas, parfois préférés par les ménages.
Expérience de terrain
La commercialisation de l’oignon est un sujet sensible au Sénégal, qui donne régulièrement lieu à des bras de fer très médiatisés entre producteurs et importateurs.
En 1999, la surabondance de l’offre due aux importations et à une récolte record d’oignons locaux a entraîné de grosses difficultés d’écoulement et une chute des prix à la production. Les maraîchers de la vallée du Fleuve ont alors décidé de créer un Comité de la filière oignon pour fixer un prix de vente minimum et réguler l’offre. Les difficultés de conservation de l’oignon, le manque de concertation des producteurs (les Niayes n’étant pas intégrées dans ce comité) et la poursuite des importations ont cependant limité l’impact de cette tentative.
En 2000, un pas supplémentaire a été franchi avec la structuration des organisations de producteurs. Au Nord, l’Association des producteurs d’oignon de la vallée (APOV) a vu le jour au avec l’appui de la SAED (Société nationale d’aménagement et d’exploitation des terres du delta du fleuve Sénégal et des vallées du fleuve Sénégal et de la Falémé) ; au Sud, l’Association des unions maraîchères des Niayes (AUMN) a été créée, là aussi avec un soutien de l’État.
En 2003, les représentants des producteurs, des consommateurs, des importateurs et des commerçants se sont assis à la même table sous la houlette de l’Agence nationale de régulation des marchés 2. L’État sénégalais a alors décidé de geler chaque année les importations tant que la production nationale suffit à couvrir les besoins, en s’appuyant sur la clause de sauvegarde des accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Les acteurs de la filière, réunis dans un Comité national de suivi, définissent ensemble la durée du gel des importations ainsi que les prix et la quantité de l’offre intérieure.
Toutefois, les importations ont continué et certains négociants ont constitué des stocks anticipés  d’oignons hollandais pour contourner les restrictions. En se mobilisant, les producteurs ont obtenu un allongement de la période de gel des importations (de 4 à 6, puis à 8 mois par année).
L’UPHORBAK est membre de l’APOV et a participé activement au développement de cette organisation ainsi qu’aux actions de plaidoyer. Elle négocie directement avec les grossistes locaux. L’autorité de régulation intervient si les prix sont trop élevés ou trop bas. Les producteurs ont conclu un accord pour s’engager à ne pas «envahir» en même temps leurs zones de diffusion respectives.
Enseignements
Cette expérience montre l’importance de soutenir l’organisation des producteurs et leur mobilisation en faveur de cadres de concertation nationaux intégrant les différents acteurs.

Si les mesures de régulation ont permis d’améliorer les prix et l’accès aux marchés pour les producteurs, elles n’ont en revanche pas suffi à réduire les importations (122’000 tonnes en 2014). La consommation d’oignons par les ménages n’a pas cessé d’augmenter. L’État sénégalais vise à atteindre une production nationale de 350 000 tonnes d’oignon en 2017, qui suffirait à couvrir la demande.

Les capacités de stockage et de conservation restent toutefois insuffisantes, malgré un soutien de l’État. Nombre de commerçants et de consommateurs se plaignent aussi de la faible durée de conservation de l’oignon local. Ce problème est dû au fait que les paysan-ne-s récoltent souvent les oignons trop tôt, à un moment où ils sont encore gorgés d’eau, afin de faire face à des besoins de subsistance urgents et/ ou de gagner sur le poids. Il s’agirait d’améliorer la sécurité économique des paysan-ne-s en soutenant des outils tels que les fonds de garantie et les caisses locales d’épargne et de crédit (cf. Chapitre III, section 4).

Les achats de semences réduisent l’autonomie et alourdissent les coûts de production de nombreux cultivateurs. Il est donc important de développer la production de semences paysannes. Ces variétés existent, en particulier le fameux «Violet de Galmi», originaire du Niger. En 2009, la firme sénégalaise Tropicasem a tenté de s’approprier ce patrimoine, mais elle a essuyé un refus de l’Organisation africaine pour la propriété intellectuelle suite à une importante mobilisation de la COPAGEN Niger (Coalition pour la protection du patrimoine génétique africain).

En avril 2015, pour la première fois au Mali, le Ministère du commerce et de l’industrie a suspendu les importations d’oignons et de pommes de terre jusqu’à la fin de la récolte et de la campagne de commercialisation, afin d’assurer en priorité l’écoulement de la production locale. Les producteurs maliens souhaiteraient voir l’interdiction s’étendre à des fruits comme les oranges ou la banane. Des collaborations entre maraîchers sénégalais et maliens devraient être développées et soutenues afin de conduire des actions de mobilisation et de plaidoyer communes.