Des caféiculteurs tiennent tête à la Banque mondiale

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2 novembre 2016

Contexte
Au Burundi, la filière du café assure un revenu direct à près 600’000 ménages d’agriculteurs, soutenant ainsi les moyens de subsistance de quelque 3,6 millions de personnes (plus d’un tiers de la population rurale du pays). Il représente par ailleurs environ 60 à 70% de la valeur des exportations totale du Burundi. La culture du café est presque exclusivement l’affaire de petites exploitations familiale (moins de 1 hectare cultivé par famille). Ces petits producteurs se sont organisés en coopératives pour mieux maîtriser la filière, de la production à l’exportation en passant par le lavage en station et le déparchage en usine 1.

Expérience de terrain
I. La privatisation voulue par la Banque mondiale
Le secteur du café, longtemps contrôlé par l’État burundais, a connu une crise importante à partir des années 1990 (chute des cours du café, inefficacité de certaines structures de production et de commercialisation, conflits). Face aux nécessaires réformes du secteur, le Gouvernement, sous la pression de la Banque mondiale, a entamé en 2009 un processus de privatisation peu favorable aux paysan-ne-s. Cette privatisation était alors une condition imposée par la Banque mondiale pour permettre au Burundi d’accéder à l’initiative des Pays pauvres très endettés (PPTE). La stratégie adoptée sur le conseil de bureaux d’études étrangers passait notamment par la vente au secteur privé des usines de dépulpage/lavage et de déparchage permettant la transformation de la cerise de café avant son exportation. Pourtant, en 2007, lors de la planification de la privatisation de la filière, le Président burundais déclarait que le café appartenait aux producteurs tant qu’il n’était pas exporté.
Les conditions de vente pour acquérir ces outils de valorisation de la production excluaient de fait la participation des coopératives de paysan-ne-s. En effet, les stations ont été mises en vente par lot et aucun producteur local n’avait les capitaux nécessaires pour les acquérir. Seules les multinationales du négoce de matières premières avaient les moyens de les acheter. Bien entendu, cette stratégie a été adoptée sans consultation des principaux intéressés, les paysan-ne-s vivant de la production du café.
II. Un plaidoyer local et international pour faire entendre la voix des caféiculteurs
Face à cette situation, la Confédération nationale des associations des caféiculteurs du Burundi (CNAC), regroupant plus de 125 000 producteurs, a lancé avec l’appui des ONG locales ADISCO et INADES Formation un travail intensif de plaidoyer auprès du Gouvernement burundais et de la Banque mondiale pour qu’ils revoient leur stratégie de privatisation en intégrant la voix des paysan-ne-s dans le processus.
Leurs revendications étaient portées à l’international par l’ONG IRED à Genève et par Solidarité socialiste en Belgique. Les multinationales telles que WEBCOR, basée à Genève, ont été interpellées. Des actions ont eu lieu auprès de parlementaires suisses et belges et auprès du Parlement européen pour dénoncer cette situation.
Parallèlement à cette mobilisation internationale, les coopératives de caféiculteurs ont décidé de construire leurs propres usines de lavage du café pour ne pas dépendre des multinationales. Grâce à un partenariat entre l’ONG ADISCO et le Fonds International de Garantie (FIG), basé à Genève, des garanties bancaires ont permis aux coopératives d’accéder aux financements de la Banque nationale de développement économique du Burundi. Les crédits obtenus ont servi à la construction de 13 stations de lavage du café. Par ces opérations, les coopératives se sont renforcées et réapproprié une partie de la filière du café.
Le travail de plaidoyer mené tant au niveau national qu’au niveau international a porté ses fruits. Alerté, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, a conduit des investigations. Ses conclusions ont été sans appel : « Il y a des signes inquiétants montrant que les intérêts des producteurs de café n’ont pas été pris en compte dans le processus de réforme malgré l’ouverture des organisations de caféiculteurs à une réforme de la filière qui leur permettrait de monter dans la chaîne de valeur ». Le rapporteur spécial préconisait une réforme de la filière permettant aux coopératives de producteurs de capter une plus grande partie de la valeur du café afin de réduire la pauvreté. Il a interpellé directement la Banque mondiale en demandant la suspension du programme de privatisation.
Face à cette pression, la Banque mondiale a été obligée de modifier sa position et d’engager un dialogue avec les coopératives paysannes et la CNAC. Une nouvelle stratégie de privatisation de la filière qui accorde aux paysan-ne-s une place prépondérante a fini par être adoptée en 2014. La Banque mondiale et le Gouvernement ont réservé finalement 32 stations aux caféiculteurs de la CNAC et se sont engagés en faveur d’un programme d’appui à la caféiculture.
Enseignements
Cette expérience démontre que, grâce un travail de plaidoyer efficace mené tant au niveau local qu’international, les paysan-ne-s burundais-es ont pu faire entendre leur voix et infléchir en leur faveur la politique et la stratégie du gouvernement local et de la Banque mondiale. Ce combat a contribué à renforcer la position de la CNAC, qui devient un acteur incontournable de la filière café au Burundi.

Pour en savoir plus :
• www.ired.org/modules/Index/CNAC/Caf_Burun_final.pdf
• www.adisco.org
• www.srfood.org/fr/la-privatisation-de-la-filiere-cafe-au-burundi-encouragee-par-la-banque-mondiale-ne-doit-pas-repeter-les-erreurs-du-passe