L’agroécologie, révolution dans les mains et la tête

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2 novembre 2016

Définition et contexte
A la base, l’agroécologie désignait l’application des principes de l’écologie à la gestion des agrosystèmes. Dès les années 1970, d’abord en Amérique latine, elle a émergé comme mouvement social alternatif au mode de production et de consommation industriel (cf. chapitre II, section 3).
L’agroécologie cherche à améliorer la production et à favoriser la diversité (du patrimoine génétique, des espèces, des activités agropastorales) en activant les effets bénéfiques des interactions entre les formes de vie minérale, végétale, animale et humaine.
Certains considèrent que l’agroécologie procède d’une recherche empirique faite de génération en génération en lien avec les spécificités d’un terroir et les traditions de ses habitants.. D’autres préfèrent insister sur les apports de la science comme instrument pour approfondir et améliorer la connaissance des propriétés du sol, des plantes et des cycles écologiques.
En Afrique, des dynamiques agroécologiques ont émergé dans les années 1980, alors que la croissance démographique et la pression foncière provoquaient la dégradation des sols et la déforestation. Des pionniers, formés au contact de paysan-ne-s africain-e-s ou européen-ne-s, se sont installés sur des terres appauvries pour démontrer qu’une autre agriculture, basée sur les ressources locales, est possible. La découverte de l’agroécologie a été pour eux déterminante, car elle touche à l’amour de la terre et de la nature.
Expériences de terrain
I. Stratégies
En lieu et place de la création de groupements, devenue routinière et moins mobilisatrice, les expériences d’agroécologie prennent comme point de départ l’organisation sociale existante : groupes de familles associées, noyaux de paysan-ne-s expérimentateurs-trices, jeunes soutenus par un village, femmes entrepreneures ou même villages entiers comme dans le cas de l’association Terre Verte au Burkina Faso.
Au Sénégal, l’Union des collectivités de Tatteguine (UCT) a constaté que les groupements d’individus n’avaient pas assez d’assise dans la communauté. « Dans une exploitation familiale, si une vision n’est pas portée par l’ensemble de la famille, on n’arrive à rien », analyse le secrétaire général, Pape Maïssa Fall. UCT a donc appuyé la création de Groupements de familles associées, qui restaurent des mécanismes de solidarité (santé, sécurité alimentaire) affaiblis par l’évolution des modes de vie. La famille doit être représentée au minimum par son chef, une femme et un jeune.

L’agroécologie doit progresser pas à pas, en combinant gains au présent et promesses d’avenir. En Afrique des Grands Lacs, l’ONG Food for the hungry (FH) promeut la substitution des engrais minéraux de synthèse par le compost comme porte d’entrée vers l’agroécologie. Ce parti pris entre souvent en contradiction avec les recommandations des services de vulgarisation agricole, comme au Rwanda, où les paysan-ne-s sont censés utiliser des engrais chimiques pour atteindre les objectifs de production fixés par l’État. L’expérience de FH montre cependant que ce tournant est en général bien accepté, car il produit des résultats à court terme et n’est pas très coûteux. Une seconde substitution a été introduite par la suite : la fabrication de bio-pesticides à base de plantes (piment, neem, etc.) en lieu et place des pesticides de synthèse. Grâce à ces succès initiaux, les paysan-ne-s sont ouverts à la démarche agroécologique et prêts à tester d’autres innovations.
Les pionniers sont tous passés par des formations à l’étranger ou en dehors de leur zone, ils ont tous voyagé et favorisé les voyages d’échange. Au Sénégal, des paysan-ne-s membres d’UCT sont allé-e-s voir les techniques traditionnelles utilisées en Casamance pour limiter la salinisation des terres (drainage de l’eau salée par des canaux et plantation de certains arbres tels que l’anacardier).
Au Rwanda, un séminaire international auquel participaient des partenaires de plusieurs organisations liées à la Fédération genevoise de coopération (FGC) a eu lieu en septembre 2015. Il a permis de recueillir les expériences de paysan-ne-s innovateurs-trices, reprises dans une liste de bonnes pratiques.
II. Outils
1. Les fermes-écoles
Les fermes-écoles agroécologiques sont des lieux d’échange, de recherche et de formation créés par des paysan-ne-s pour des paysan-ne-s (ou futur paysan-ne-s). Il n’existe pas de modèle unique. Certaines fermes proposent des modules de formation de courte durée permettant à des paysan-ne-s de développer leurs connaissances sur des sujets spécifiques (p.ex. agroforesterie, compostage, lutte contre l’érosion, construction de greniers, etc.). D’autres accueillent des jeunes dans un esprit communautaire. Ils y apprennent l’agroécologie en alternance entre cours théoriques et expérimentations sur le terrain, cultivent leurs semences et produisent leur propre alimentation. Les fermes-écoles sont conçues pour être aussi des lieux de démonstration.
« Le temps des paroles, c’est fini, il faut prouver, illustre Gora Ndiyae, fondateur de la ferme-école de Kaydara, au Sénégal. Il ne s’agit plus d’aller de conférence en conférence pour exalter les vertus de l’agroécologie mais de dire aux gens : “venez voir !”. Au début personne ne croyait à ce projet, mais maintenant, combien de personnes viennent chaque jour pour s’inspirer de l’expérience ou demander des formations ! »
A Tatteguine, la ferme est en cours de construction mais UCT a déjà obtenu 4 hectares du Conseil rural. « La superficie moyenne de la majorité des familles au Sénégal tourne autour de 3 à 4 hectares. On veut montrer qu’il est possible de vivre avec ça », explique Pape Maïssa Fall.

2. Les champs-écoles
Les champs-écoles sont des espaces de formation et d’expérimentation agroécologiques décentralisés. Ils permettent à des groupes de paysan-ne-s ou de jeunes d’apprendre, de tester et de partager des techniques agricoles tout près de chez eux. Les champs-écoles sont en outre utilisés pour comparer les résultats de différentes méthodes de culture ou semences. Les échanges et le suivi sont facilités par des praticiens en agriculture écologique qui habitent dans les villages avoisinants. Les champs de ces derniers servent aussi de « livres » ouverts pour les autres paysan-ne-s.

3. Les réseaux de paysan-ne-s pilotes
En Afrique des Grands-Lacs, FH a opté pour un réseau de « paysan-ne-s pilotes » qui appliquent un certain nombre de bonnes pratiques agroécologiques sur des micro-fermes. Les participants se rencontrent pour des réunions de capitalisation d’expériences. Chacun est aussi chargé de former dix autres paysan-ne-s. Le partenaire du Nord a un rôle de facilitateur dans la formation, les échanges et l’accompagnement. Le centre Gako à Kigali (Rwanda), affilié à la Fédération internationale des mouvements d’agriculture biologique (IFOAM), sert de centre de référence pour la formation continue des paysan-ne-s pilotes.
Enseignements
Les processus agroécologiques nécessitent beaucoup de temps, car ils impliquent de restaurer la vie des sols, d’expérimenter et de rechercher des semences paysannes quasiment disparues ; à la durée et à la dureté des travaux des champs s’ajoute la nécessité de s’opposer aux chimères des solutions techniques faciles (OGM, hybrides, etc.) à court terme pour accompagner une révolution de pratiques culturales traditionnelles inadaptées (passer du brûlis au compostage par exemple).

Au-delà des techniques, l’agroécologie a aussi une dimension politique car elle implique la défense des droits des paysan-ne-s et leur mobilisation autour de visions d’avenir. « Les organisations paysannes ont de la peine à mobiliser leurs membres de base, relève pourtant Pape Maïssa Fall. Il faut en tenir compte dans les projets de développement. On a besoin de militants praticiens dans les organisations paysannes. » Les partenaires de la coopération ont un rôle à jouer en appuyant des espaces de débat et de partage de savoirs.

Sur le terrain, les militants de l’agroécologie se retrouvent fréquemment en concurrence avec des programmes des États ou d’ONG. Il y a donc un gros travail de plaidoyer à mener pour faire évoluer les politiques agricoles et de développement.

Les fermes-écoles nécessitent un soutien des bailleurs au démarrage afin de couvrir les dépenses d’éducation (bâtiment, formations, déplacements, etc.). L’intérêt de partenaires pour ces expériences est une chance, mais aussi un risque : il s’agit d’éviter un effet de mode qui ferait des fermes-écoles une « recette » à répliquer partout de manière non durable. Il est important de maintenir un équilibre entre appui extérieur et autonomie et une adéquation entre les moyens (techniques, économiques, etc.) des fermes et ceux des communautés.

L’agroécologie est ouverte à la recherche et aux échanges avec l’extérieur. Elle constitue un défi pour les acteurs du monde paysan et notamment les organisations militantes. Les OP ont commencé à en prendre la mesure, à l’image de la Coordination nationales des organisations paysannes (CNOP) au Mali, qui a lancé un programme de formation en agroécologie.