Les produits locaux vont à la rencontre des citadins

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26 octobre 2016

Contexte
Les familles paysannes fournissent l’essentiel de la nourriture en Afrique. Au Togo, par exemple, l’agriculture est le premier secteur économique. Deux-tiers de la population vivent de cette activité, qui produit en outre 40 % de la richesse nationale. Pourtant, les paysans restent mal lotis: 80% des pauvres au Togo vivent en milieu rural.
Les familles paysannes ne tirent pas suffisamment de revenus de la vente de leurs produits. Elles se retrouvent généralement en position de faiblesse dans la chaîne agroalimentaire (production, stockage, transformation, transport, distribution). Les producteurs peinent à réaliser eux-mêmes la transformation et la distribution, sauf à petite échelle; en outre, la grande distribution et ses intermédiaires n’offrent pas un prix juste aux producteurs.

Des initiatives soutenues par des acteurs de la coopération existent aujourd’hui, qui visent à renforcer le rôle des petits producteurs et à orienter la consommation urbaine vers les produits locaux. Illustration au travers de deux expériences menées par des ONG au Togo.
Expériences de terrain
I. OADEL : de la sensibilisation à la commercialisation
En 2003, l’association OADEL (Organisation pour l’alimentation et le développement local) a été créée afin de promouvoir l’agriculture familiale durable et la souveraineté alimentaire par la valorisation des produits locaux.
Plusieurs des activités d’OADEL sont innovantes et méritent de faire école en Afrique de l’Ouest. La BoBaR (La Boutique-Bar et Restaurant), à Lomé, a pour objectifs de promouvoir le « manger local » en milieu urbain et d’améliorer le pouvoir d’achat des paysans en commercialisant leurs produits. L’association appuie en outre certains transformateurs en gestion d’entreprise et accompagne des créateurs de petites unités.
Des agents de promotion de la consommation locale sont chargés de mener des actions de sensibilisation au porte-à-porte auprès de femmes salariées avec l’aide de différents outils:
— des prospectus sur les dangers de certains produits importés trop gras, trop salés, trop sucrés et leurs effets sur la santé (diabète, obésité, cancer)
— un livret présentant la gamme des produits locaux existant sur le marché togolais
— un magazine Consomm’Acteur édité par OADEL et qui parle des enjeux de l’agriculture et de l’alimentation au Togo.
Cette action a été complétée par la création d’un événement annuel intitulé « Alimenterre », qui comprend un festival de films et une foire proposant la dégustation de mets culinaires traditionnels et modernes, tous à base de produits locaux.
Dernièrement, OADEL a lancé un concours de plaidoirie sur le droit à l’alimentation et la consommation locale à l’attention des étudiants des universités et un concours de dissertation pour des collégiens et lycéens à Lomé. Enfin, elle vient d’éditer un livre de recettes culinaires togolaises, premier du genre dans ce pays.
A noter qu’au Mali, la ferme-école de Benkadi Bugu et l’hôtel-restaurant « Le Doni Blon » auquel elle est rattachée, offrent des produits issus du maraîchage agroécologique afin, là aussi, de valoriser les mets africains au menu de son restaurant .
II. De l’organisation des petits producteurs à la distribution : les ESOP au Togo et au Bénin
Les Entreprises de services et organisations de producteurs (ESOP) sont des entreprises sociales et solidaires qui associent des producteurs ruraux et des transformateurs. Elles ont été développées depuis 1997, au Togo et au Bénin par ETD (Entreprises Territoires et développement) et ses partenaires du Nord, Genève Tiers-Monde (GETM) et le Centre international de développement et de recherche (CIDR).
Les producteurs sont regroupés en tontines commerciales (cf. Chapitre III, section 4), constituées de 10 à 15 personnes qui se connaissent bien et se font confiance. Chaque tontine négocie et signe des contrats annuels avec une ESOP, dans lesquels sont fixés les prix, les volumes de production et les périodes de livraison. Les prix sont établis sur la base du coût de production et non des prix du marché.
Une fois que la tontine a pris sa vitesse de croisière, elle peut prendre part au capital de l’entreprise. Il en découle ainsi une répartition des bénéfices plus équitable entre producteurs et transformateurs. Seule une partie de la récolte est destinée à l’ESOP afin d’éviter que les familles paysannes ne dépendent complètement de ce marché.
Les ESOP sont équipées pour stocker et transformer artisanalement les denrées et permettent l’accès à de nouveaux marchés exigeants en terme de quantité et de qualité. La responsabilité sociale des ESOP passe également par l’emploi des femmes qui n’ont jamais eu accès à un travail rémunéré.
Aujourd’hui, plus de 50 ESOP commercialisent du riz, du riz étuvé, du soja, des farines alimentaires, du miel, des fruits, de la viande ou encore des semences.
L’accès aux marchés urbains est facilité par la mise en œuvre d’une démarche de contrôle de la qualité, la réalisation d’achats groupés (emballages, petits équipements de transformation) et la création d’un réseau de distribution (RESOP) qui assure l’écoulement des produits transformés auprès de grossistes, de supermarchés, d’entreprises privées et publiques et de restaurants béninois et togolais. Une marque propre, le riz Délice, a été développée au Togo. Elle représente environ 5 % du marché du riz et plus de 15 % du riz parfumé consommé localement.

Enseignements
Les  démarches d’OADEL et d’ETD poursuivent le même objectif: mettre en lien les producteurs ruraux et les consommateurs urbains. Des synergies existent d’ailleurs entre les deux associations, puisque OADEL fait la promotion des produits des ESOP dans le cadre de foires urbaines.

L’enjeu principal consiste ici à créer des filières de commercialisation qui soient à la fois accessibles au plus grand nombre et rémunératrices pour les paysans. La participation des producteurs à l’ensemble du processus devrait permettre d’éviter que les structures créées ne soient phagocytées par les distributeurs, comme cela a été le cas dans la plupart des coopératives agricoles en Europe.

Le marché des produits locaux ne doit pas être une niche. Or, les investissements consentis pour proposer un produit fini qui sorte du lot (transformation, conditionnement, marketing, labellisation, etc.) peuvent renchérir son coût et le destiner plus particulièrement à une clientèle ayant un certain pouvoir d’achat. Face à cette difficulté, OADEL a mené des actions d’éducation des consommateurs pour les inciter à acheter les produits locaux de qualité, même s’ils sont parfois plus chers. « Nous sommes même passés de maison en maison dans les quartiers pauvres de Lomé pour sensibiliser les consommateurs, relate Tata Ametoenyenou, coordinateur des programmes à OADEL. Aujourd’hui, ils sont conscients que certains produits importés ne sont pas toujours meilleurs et qu’ils sont même souvent source de maladies comme les cancers, le diabète, etc. En outre, ils comprennent que les produits locaux permettent de réinvestir dans l’économie locale. Aujourd’hui, nous pouvons affirmer que les ménages pauvres urbains achètent les produits locaux qui sont à leur portée (farines, biscuits, jus de fruits) ».

Un autre défi consiste à allier promotion des produits locaux et agroécologie. Ce rapprochement est d’autant moins évident que les engrais chimiques sont largement subventionnés dans certains pays, comme cela a été longtemps le cas au Togo. Mais des expériences de reconversion sont en cours: les ESOP ont été les premières à commercialiser du soja biologique au Togo. Des experts en certification, formés par des représentants des ESOP, contrôlent les conditions de production sur le terrain. Ce système de certification participative est moins lourd et moins coûteux que l’accréditation à un label international.

Les résultats positifs de ces expériences démontrent que la production locale peut concurrencer voire remplacer les produits importés. Mais il s’agit pour cela de mettre en place un accompagnement à long terme à tous les niveaux de la chaîne de production. Ce travail consiste dans un premier temps à sensibiliser les acteurs à la qualité de la production et de la transformation, à la disponibilité (stockage) des produits mais aussi, pour les consommateurs, à la régularité dans leur engagement.
Le développement de la transformation est un défi important pour faire face à l’augmentation de la demande. Il est nécessaire de mettre en réseau les producteurs-transformateurs et de les appuyer dans la mécanisation de petites unités de transformation.

Enfin, il s’avère difficile de mettre en place des groupes de producteurs, des coopératives ou des ESOP et de démarrer une activité de transformation sans fonds de départ. Les ESOP n’ont pas toujours un capital suffisant pour faire face aux mauvaises récoltes dues notamment à la sécheresse. Ici, les partenaires peuvent fournir un appui financier ou agir comme garants pour l’accès aux crédits. remplisseuse automatique, moulin en inox, etc.).

Enfin, il s’avère difficile de mettre en place des groupes de producteurs, des coopératives ou des ESOP et de démarrer une activité de transformation sans fonds de départ. Ici, les partenaires peuvent fournir un appui financier ou agir comme garants pour l’accès aux crédits.