Quand les poulets congelés auront des dents…

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2 novembre 2016

Contexte
Dès la fin des années 1990, le marché camerounais a été inondé de découpes de poulet congelé en provenance d’Europe. Ces importations ont fait chuter la production nationale de moitié entre 1997 et 2003 et suscité des inquiétudes pour la santé des consommateurs.
L’arrivée massive du poulet congelé était due à plusieurs facteurs : l’écart entre l’offre et la demande nationale, les accords de libre-échange et la psychose autour de la grippe aviaire. Comme les éleveurs européens réalisent leurs marges sur les parties « nobles » de l’animal, les « déchets » pouvaient être vendus à vil prix : sur le marché camerounais, le prix des découpes était inférieur de moitié à celui du poulet local 1.
Une importante campagne de mobilisation, portée par l’ACDIC (Association citoyenne de défense d’intérêts collectifs) et le SAILD (Service d’appui aux initiatives locales de développement), puis soutenue par des mouvements sociaux et paysans ainsi que par l’interprofession avicole, a entraîné la réduction drastique des importations. La relance de l’aviculture locale a cependant été compliquée par la faiblesse de la production de maïs, principal ingrédient de l’alimentation des poulets de chair.
Expérience de terrain
En 2003, l’ACDIC a réalisé une étude des conséquences de l’importation de poulet congelé : pertes en devises énormes (10,5 milliards de FCFA par année, soit 25 millions de CHF), liquidation de 110 000 emplois et augmentation des maladies diarrhéiques causées par les salmonelloses et les colibacilles.
Le plaidoyer et les marches de protestation conduites avec des organisations paysannes ont fait reculer le Gouvernement. Dans un premier temps, celui-ci a décidé de fixer des quotas d’importations annuels et de soutenir l’aviculture locale par un plan de relance. Mais la mobilisation, rejointe par l’interprofession avicole, a continué à prendre de l’ampleur. En 2008, le Gouvernement annonçait l’interdiction totale des importations.
« La synergie entre l’ACDIC et la filière avicole a été un facteur déterminant, estime Jean Paul Fouda Ottou, ancien secrétaire permanent de l’interprofession. Au début de la mobilisation, la filière avicole n’était pas encore organisée. L’État était réticent, parce qu’il craignait une rupture d’approvisionnement en cas de suppression des importations. » Pour Jean Paul Fouda Ottou, la société civile devrait s’engager encore davantage : « La nourriture est un élément de souveraineté. Les États-Unis ont préféré détruire le surplus de production de maïs pour éviter l’effondrement des prix. Quitte à violer tous les traités internationaux, l’Afrique ne doit plus dépendre des autres pour manger ! »
Malgré des importations clandestines résiduelles, le Cameroun est parvenu à relancer sa production. L’État a subventionné la filière et fourni des poussins à crédit aux éleveurs. Mais cet élevage intensif a créé d’autres problèmes. La hausse vertigineuse de la demande de maïs, qui constitue plus de deux tiers des aliments pour la volaille, a provoqué une pénurie et fait flamber les prix.
Le Gouvernement a lancé un « programme maïs » pour relancer la filière en 2006, mais une grande partie de l’argent a été détourné. Le scandale, révélé par l’ACDIC, a débouché sur l’arrestation, en 2015, de l’ancien coordonnateur du programme, mais non de ses nombreux complices.
En 2011, des centaines de milliers de poussins d’un jour ont été détruits faute d’avoir trouvé preneur, les éleveurs étant dissuadés par les prix élevé du maïs. Le Gouvernement semble miser aujourd’hui sur la distribution de semences de maïs hybrides — donc non reproductibles — aux paysan-ne-s.
L’élevage intensif, calqué sur le modèle du Nord, met les producteurs dans une situation de dépendance. Les poulets d’engraissement sont des hybrides issus de croisements génétiques réalisés sur plusieurs générations. Leur taux et leur vitesse de croissance sont très élevés durant la première génération, mais ils s’effondrent ensuite, de sorte que les éleveurs doivent racheter des poussins.
La technologie hybride ne peut pas être transférée à des acteurs locaux : une poignée de multinationales à travers le monde détiennent le patrimoine génétique des poules et le couvent jalousement. Les poulets d’engraissement sont moins résistants aux maladies et doivent recevoir des traitements médicamenteux. Finalement, l’opération s’avère souvent peu rentable pour les petits et moyens éleveurs. Selon Jean Paul Fouda Ottou, il serait intéressant de développer un élevage endogène à partir des races de poules locales, en modernisant le système de multiplication par l’emploi de couveuses.
Enseignements
Le succès de la mobilisation contre l’importation de poulet congelé montre la nécessité de construire des alliances entre les organisations paysannes et les mouvements sociaux urbains. Il est important d’accompagner ces luttes par des stratégies d’appui à la production qui tiennent compte de son impact sur l’environnement, sur le marché (les prix et les circuits de commercialisation) et sur l’autonomie paysanne.

L’impasse dans laquelle risque de se retrouver la filière avicole au Cameroun invite à penser un mode d’élevage alternatif intégrant les animaux à la vie agricole et domestique. Le traditionnel « poulet du village », les pintades et autres canards n’ont pas besoin de l’industrie pour se nourrir et pour se reproduire !

Associé à la culture du maïs et de certaines légumineuses bénéfiques pour l’alimentation des poules, l’élevage de volaille peut constituer une source d’autonomie alimentaire et de revenus non négligeable. En misant sur un renforcement de ce système plutôt que sur l’élevage industriel, il serait possible de créer de petites filières locales, par exemple sur le modèle des mini-laiteries développées notamment au Burkina Faso pour valoriser les produits bovins.